Le portrait du Lapin

20 Jan 2021 | Arts visuels, Mes chroniques littéraires | 11 commentaires

Le portrait du LapinLa chronique littéraire du jour portera sur un album fraichement sorti, parfait pour se questionner sur le monde de l’art.
Du texte aux illustrations, tout est délicieusement soigné et nous invite à nous plonger dans l’univers (truffé de détails et de références artisitiques) d’un Lapin… crétin ? Ça se discute !

 

Le portrait du Lapin

Un livre écrit par Emmanuel Trédez et illustré par Delphine Jacquot. Publié fin 2020 aux éditions Didier Jeunesse.

Résumé : Lapin est riche, mais il ne connait rien à l’art ! Pourtant, pour séduire une belle belette, Lapin se met en tête de se faire tirer le portrait. Il cherche un peintre capable de remplir cette mission et découvre, à ses dépens, le curieux monde de l’art.
Une fable humoristique tout en rimes et en références !

Lapin reçoit une lettre d’Amérique, envoyée par la jeune et jolie Belette, en quête d’un époux. Celle-ci lui demande une photo de lui, mais Lapin est riche et voit les choses en grand. C’est décidé : il se fera plutôt tirer le portrait par un grand peintre !
Ne connaissant rien au monde de l’art, Lapin s’adresse à son ami Cochon.

– Toi qui connais bien le monde de l’art,
Pourrais-tu me conseiller un peintre (je veux une star !)
Capable de me représenter sous mon meilleur jour
Et d’inspirer à une belette de l’amour ?

lapin et cochonCochon lui recommande chaleureusement d’aller voir Âne, galeriste de métier, qui expose les oeuvres du fameux peintre Renard. Lapin se rend à la galerie d’Âne, où se presse le tout-Paris. Les oeuvres des plus grands y sont regroupées. Lapin se retrouve enfin devant une oeuvre du fameux Renard : une toile toute noire, intitulée « Chat noir dans la nuit ».
Lapin est dubitatif, mais Âne le rassure : il faut du temps pour apprécier un tableau à sa juste valeur.

Lapin est décidé : Renard fera son portrait. Et pour cela, le peintre lui demande une véritable fortune ! Comme il dit : « L’art n’a pas de prix ! »
Après tout, Lapin est riche, il peut se le permettre…

La séance achevée, Lapin demande à voir le croquis.
– Ah non, vous ne verrez rien tant que ce n’est pas fini !

lapin et renardLapin s’arme de patience… et il lui en faut ! Renard le fait languir, reportant toujours un peu plus loin la date de livraison du tableau. 
Enfin, le grand jour arrive. Lapin se précipite chez Renard. Il découvre son portrait : une toile blanche. Entièrement blanche.
Lapin en reste sans voix.

– Vous ne trouvez pas le portrait assez flatteur ?
S’inquiète renard. Vous savez, j’y ai passé des heures !
Les oreilles sont-elles trop courtes ? Ou bien sont-ce les dents ?
Peut-être sont-elles un peu trop en avant ?

lapin toile blancheCochon est d’avis que le portrait est magnifique. Lapin se laisse convaincre. Il repart avec sa toile. Tout de même perplexe…
Il demande donc l’opinion de son domestique, puis de ses invités. Tous s’accordent à dire que Lapin est magnifiquement représenté.

Âne lui a dit que pour apprécier une oeuvre d’art,
Il fallait parfois du temps. Avec un certain retard,
Il lui semble enfin entrevoir sur la toile un lapin blanc,
Avec un chapeau blanc, nu, couché sur un canapé blanc.

Le portrait est donc posté… direction l’Amérique !
Mais curieusement, Belette n’est pas de l’avis de tout le monde. Pour elle, ce portrait ne vaut rien : soit on s’est moqué de Lapin, soit c’est Lapin qui se moque d’elle ; mais dans les deux cas, il ne l’intéresse plus.

Alors que Lapin reste sot, sans plus de prétendante en vue… Cochon et Renard sirotent tranquillement un cocktail au soleil.
Lapin s’est bien fait avoir… ou peut-être pas tant que ça… Mais il serait dommage de vous dévoiler la fin savoureuse de cette histoire ici. Vous la lirez vous-mêmes. 😉

Cet album est un puits sans fond !!
Des références à gogo, du second degré bien cynique comme je l’aime, des pistes de réflexion multiples… Whaou !

Commençons par parler du texte. Emmanuel Trédez nous conte l’histoire comme une fable. Par la forme déjà : disposé en strophes, entièrement en rimes. Par le fond ensuite : un sujet de société soulevant des questions profondes, un bestiaire complet, une fin surprenante… et bien que la morale ne soit pas clairement énoncée, elle se laisse deviner.
Le choix des personnages renforce les archétypes du renard ou de la belette… On pourrait à se sujet se questionner sur le fait que l’auteur aurait pu choisir un mouton, ou pourquoi pas un pigeon, plutôt qu’un lapin ; mais le lapin est un bien meilleur choix quand on connait la fin de l’histoire.

Parlons des illustrations ensuite : un trait fin, un beau travail sur les couleurs, des détails innombrables… des dessins à observer et fouiller pendant des heures.

portrait du lapinEnfin, parlons conjointement du texte et des illustrations. Car c’est une véritable complémentarité qui les lie.
Lorsque le texte nous parle d’un « blaireau dont les deux yeux ne sont pas au même niveau et le museau est complètement déformé », l’illustration nous plonge directement dans une oeuvre digne de Picasso.
Les références artistiques sont d’ailleurs nombreuses (Magritte, Picasso, Miro, Mondrian, Duchamp…) et amenées avec beaucoup d’humour, ce qui ne gâche rien !
Autre exemple de complémentarité texte/images : ce sont les illustrations qui viennent donner au lecteur la véritable nature des occupations de renard, alors qu’il avance verbalement des excuses fort valables pour ne pas livrer le tableau. 

Ce livre est une critique du monde de l’art et de la société de consommation à lui seul.
C’est à la fois extrêmement drôle et particulièrement triste.
Le personnage de Lapin, qui se laisse convaincre qu’une toile blanche est une oeuvre d’art parce que « tout le monde » est de cet avis. Les « amis » de Lapin qui seraient prêts à dire n’importe quoi pour être invités à sa table ; ou qui n’hésitent pas à le rouler dans la farine pour lui soutirer de l’argent. Les personnages dont on ne parle même pas mais qu’il suffit d’observer dans la galerie : les yeux ronds, plus hypnotisés par le buffet que par les oeuvres accrochées au mur.

Je ne peux m’empêcher de rapprocher ce livre d’une pièce de théâtre qui fut une révélation pour moi lorsque j’étais jeune : Art, de Yasmina Réza.
À lire absolument si le sujet vous intéresse. Ou à voir, tellement bien jouée par Fabrice Luchini, Pierre Arditi et Pierre Vaneck. (fin de la parenthèse)

portrait du lapin acheterLe livre est affiché pour les 5-8 ans. Je dirais qu’on peut aisément le travailler jusqu’à 10 ou 12 ans tant il y a à lire et à dire. Le format généreux (27 x 30 cm) est d’ailleurs tout à fait adapté à une exploitation en classe. 

On pourra engager des discussions poussées avec les enfants de cycles 2 et 3, à partir de questions autour des autres et du libre arbitre : Les amis sont-ils toujours de bon conseil ? Faut-il se ranger à l’avis de la majorité ? Qu’est-ce qu’avoir une opinion ?…

L’exploitation de cet album pourra aussi être davantage tournée vers l’art au sens propre : l’art du portrait et les types de poses à travers le temps (poser nu, poser sur un destrier), les grands artistes…

Un travail sur les expressions peut également être mené. Celles-ci pourront être relevées directement dans le texte (Ne pas valoir un pet de lapin…) ou trouvées par extension (Tel est pris qui croyait prendre, Rouler dans la farine…).

Vous me lisez toujours ?! Allez je m’arrête.
Foncez chez votre libraire ! Le portrait du lapin est… une oeuvre d’art !

Le portrait du lapin fichierVoir aussi : Le fichier d’accompagnement pédagogique que j’ai réalisé pour Didier Jeunesse, téléchargeable gratuitement sur le site de l’éditeur 👉 ici !

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Lutin Bazar

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11 Commentaires

  1. Marie-Noëlle

    Tout simplement EXTRA et un grand MERCI !!!

    Réponse
  2. Jo&Daph

    Pour Lutin hip hip hip!
    une fois de plus IMPRESSIONNEE!
    C’est toujours un bonheur de te lire puis de te suivre ; )
    Merci, merci, merci

    Réponse
  3. Kyra

    Bonjour Lutin.
    Comme tous les étés, je prépare les livres du prix des Incorruptibles pour la rentrée.
    En cherchant les œuvres détournées et utilisées dans l’album pour travailler l’intericonicité, j’arrive sur votre page et le lien vers votre travail pour Didier Jeunesse.
    Quel boulot! Bravo! La présentation du livre dans votre article est un régal et la préparation des pistes de travail est extra!
    Je vous dis un énorme MERCI pour tout ça et pour le temps gagné grâce à la page 10 du dossier.

    Réponse
  4. Marie-Line Millereux

    À quoi reconnaitre une chronique digne de son nom ? Elle aiguise la curiosité ! Reste donc l’impatience d’ouvrir l’album assortie d’un juste « merci » !

    Réponse
  5. MamIza

    Et voilà comment ma libraire préférée se retrouve avec une commande express ….merci lutin bazar ❤️

    Réponse
  6. Agnès

    Superbe chronique… qui donne vraiment envie de succomber à la tentation de la consommation pour aller acheter l’album !

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    • Lutin Bazar

      La consommation de livres ça ne compte pas (ça c’est pour ma propre conscience). Faire vivre auteurs, illustrateurs et libraires en achetant leurs livres pour ensuite faire plaisir et cultiver nos élèves… c’est une noble façon de consommer, non ? Surtout pour des produits de qualité sans date de péremption ^^

      Réponse
      • Agnès

        Très bien dit ! C’était un peu une boutade en réponse à ton article et à la thématique de l’album

        Réponse

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